Aujourd'hui en France, il existe un délai de prescription qui a été porté à 30 ans à partir de la majorité par la loi Schiappa, concernant les violences sexuelles faites aux enfants. Aucune disposition n'existe concernant les cas très particuliers que constituent l'Inceste.
Nous ne pouvons plus tolérer que des faits d’une gravité insupportable ayant des conséquences sur la vie entière des victimes puissent être prescrits et que donc, les coupables puissent ne jamais avoir à répondre de leurs actes. Des actes de torture et de barbarie !
On ne peut pas décider de quand une victime est prête à parler, à entamer une action en justice, c’est-à-dire devoir revenir sur les faits, dans leurs moindres détails, et replonger dans la douleur. Parce que les victimes sont cassées psychologiquement et qu’il faut des années pour parvenir à se reconstruire, des années pour trouver la force de parler, la force d’affronter le déni des autres (familles, entourage), voire même des années pour être capable de ne pas juste s’effondrer en larmes ou avoir envie de hurler : « NON ». Parler d'abord, prendre conscience ensuite, et envisager un jour de porter plainte : des étapes différentes qui prennent du temps. Dans le cas de l'inceste, il faut souvent des décennies pour se soustraire à la pression qu'exerce la famille pour empêcher les victimes de porter plainte.
J’ai mis bien plus de 20 ans après mes 18 ans pour commencer à parler vraiment. Des années de souffrance, de solitude, de peurs, de cauchemars, de séquelles… Une partie de ma vie foutue en l’air. Ensuite, il m'a fallu du temps pour trouver un équilibre, une forme de stabilité que je n'avais jamais eue. Et aujourd'hui, à 46 ans 1/2, alors que je subis toujours les séquelles de l'inceste que j'ai subi de mon beau-père, j'ai besoin de temps pour me soigner et retrouver la force de retrouver une vie normale. Trop de temps, estime la loi, pour pouvoir traîner mon bourreau devant un tribunal. Comme pour des milliers de victimes. Aujourd'hui celui qui a brisé mon enfance, mon adolescence et une partie de ma vie est mort. C'était un monstre, mais sans condamnation, il s'est éteint en laissant le doute dans l'esprit de ses proches, il est mort sans jamais avoir eu le courage et la décence de reconnaître les faits.Alors que j'ai été éjectée de cette famille parce que j'ai osé parler publiquement. Ce n'est pas juste.
On est prêt à parler et à aller en justice quand on est assez entouré, soutenu, compris, aimé. Quand on a enfin trouvé la force en soi de ne plus courber l’échine, quand on a enfin compris que nous sommes les victimes et que ce n’est pas à nous d’avoir honte.On est prêt à parler quand on a enfin pu comprendre ce qui nous est arrivé et que nous n’avons pas à nous taire pour protéger une réputation familiale, sauvegarder des apparences répugnantes ou par crainte d'être accusé de mentir. Quand on a compris que ce qu'on nous a fait est à la fois impardonnable et surtout condamnable.
Parfois, on imagine être enfin sorti de l'enfer. Je suis témoin que les effets de la mémoire traumatique peuvent faire rechuter. En 2015, j'allais avoir 44 ans et ma fille avait l'âge que j'avais lors de ma première agression sexuelle. un flash-back a fait remonter cette scène insupportable, à l'identique, sauf que je voyais ma fille à ma place et j'ai eu envie de hurler. J'ai vomi. J'ai pris conscience qu'à quatre ans et demi, lors de cette première agression, j'avais comme ma fille un corps de bébé. Depuis, je survis avec un Etat de Stress Post Traumatique, des crises de dissociation avec déréalisation et dépersonnalisation, et une conduite d'évitement social. Je suis devenue invalide de catégorie 2 à 46 ans. Je ne suis pas en état de porter plainte, ma priorité est de tenir debout...
Je vous demande donc de soutenir cette pétition pour que ces faits ne puissent plus être prescrits, pour donner le temps aux victimes de parler.
Parce qu'à chaque instant des enfants subissent des traitements inhumains et qu'ils vont devoir vivre avec, grandir avec, se construire dans la douleur et le manque. Un jour, ces enfants trouveront la force de dénoncer, et voudront que la justice leur soit rendue. Mais ce jour là, on leur dira qu'il est trop tard. Et ce n'est pas juste. Dans la lutte contre les violences sur les enfants, il y a aussi ça : la prise en compte de la parole des victimes qui ne doit plus se heurter au délai de prescription...
Les bourreaux doivent savoir que, tôt ou tard, ils devront répondre de leurs actes. Ils ne doivent jamais pouvoir vivre en paix. Nous devons faire en sorte que chaque victime puisse avoir une chance d’être reconnue et que les bourreaux soient condamnés comme il se doit. Car la prescription est aussi un message insidieux : « finalement, ce n’est pas si grave »… « Finalement, on s’en remet ». Non, on ne s’en remet pas, on vit avec, plus ou moins bien, on souffre à vie. Souvent, on garde en plus des séquelles psychologiques des séquelles physiques qui parasitent notre quotidien.
On doit vivre à perpétuité avec ce qu'on nous a fait, pourquoi alors devrait-il exister un délai à respecter pour porter plainte ? Il est temps que ces violences soient considérées comme ce qu’elles sont et que leurs auteurs soient condamnés peu importe le nombre d'années écoulées.
Il est temps de dénoncer ce délai de prescription qui minimise les conséquences des viols sur mineurs, des violences incestueuses qui font des dégâts irréversibles sur la santé, la vie sociale, la vie familiale et affective des victimes !
Ainsi, pourrons-nous protéger nos enfants des prédateurs en faisant clairement comprendre que ces actes seront punis un jour où l'autre. Ce serait non seulement rendre justice aux survivant-es de ces actes, mais un signal fort à la société qui pourrait prendre conscience du caractère destructeur et barbare de ces violences qui concernent un enfant sur cinq.
Séverine Mayer, ancienne victime de violences incestueuses, auteure de « La Parole » et de "Stop Prescription ou la perpétuité des victimes de pédocriminels". Site ici.
Signataires :
AIVI, Association Internationale des Victimes de l'Inceste.
Docteur Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
Isabelle Sezionale, docteur en mathématiques, ancienne victime et auteure.
Andrea Bescond, artiste, danseuse, comédienne, auteure, metteure en scène, scénariste, réalisatrice.
Association "La Parole Libérée"