ReLIRE : l'opt-out des lecteurs

ReLIRE : l'opt-out des lecteurs
L'importance de cette pétition

Au mois de mars dernier, un cauchemar culturel et juridique est devenu réalité. La publication de la base ReLIRE par la BnF marque en effet le lancement public du projet de numérisation des livres indisponibles du Xxe siècle, dans les conditions définies par la loi du 1er mars 2012, et dénoncées d’emblée par nombre d’acteurs du monde du livre, les auteurs en première ligne. Sitôt le registre ouvert à la consultation, la forme du projet n’a fait que renforcer les craintes déjà éveillées par le fond : le piège du système de l’opt-out, si paresseux, si insultant, se resserre à chaque erreur de référencement – et il en fut relevé un nombre édifiant, en l’espace de seulement quelques jours. L’incompétence s’allie à l’immoralité, et le droit d’auteur s’en trouve ébranlé jusqu’en ses bases juridiques, jusqu’en ses garanties internationales.
C’est pourquoi nous lecteurs, amoureux du livre sous ses diverses formes, conscients et respectueux du statut du créateur, atterrés par les flous, les failles, les vices du projet et de son application, nous déclarons que nous ne sommes pas dupes, et refusons d’être complices.
Nous ne sommes pas dupes d’un discours officiel qui présente le projet comme une avancée culturelle pour le plus grand bien du public, alors qu’il est clair que sa principale raison d’être est de renforcer le pouvoir d’une minorité d’éditeurs sur des œuvres qui, inexploitées, leur échappaient contractuellement – et leur échappaient d’autant mieux que les contrats d’origine n’incluaient pas de clause de cession des droits d’exploitation au format numérique, Xxe siècle oblige.
Nous qui faisons partie du public, nous ne reconnaissons pas notre intérêt dans un système à but lucratif qui, en absorbant les œuvres orphelines, prive les lecteurs francophones de l’espoir d’une mise à disposition qui aurait pu être encadrée par les bibliothèques, dans des conditions plus équitables et plus démocratiques, ainsi que le prévoyait la directive européenne adoptée en 2012.
Nous qui nous nourrissons de culture, nous ne voyons aucun avantage à une entreprise de numérisation massive où se perd le travail de révision et/ou d’édition qui contribue à la beauté d’un livre en sa renaissance. Nous accusons le projet de numérisation des livres indisponibles de menacer le dynamisme du secteur du livre, en refroidissant l’intérêt d’éditeurs ayant vocation traditionnelle de redécouverte, en échaudant les auteurs qui voient leurs droits bafoués et leur œuvre usurpée, en ralentissant jusqu’aux plus motivés d’entre eux, contraints de gaspiller leur énergie et leur temps à se soumettre au laborieux système de l’opt-out : c’est autant de temps et d’énergie qu’ils ne pourront consacrer à l’exploration des possibilités et alternatives qui s’ouvrent à l’ère du numérique.
Nous qui considérons que culture sans droiture n’est que ruine de l’art, nous ne voyons aucun bien dans un projet qui, pour défendre les intérêts privés d’un petit groupe, altère la relation de confiance entre un auteur et un éditeur, déséquilibre au préjudice de l’auteur leur ancienne position d’égal à égal, invalide le lien sacré unissant l’auteur à l’État qui vient de sacrifier les droits qu’il avait le devoir de garantir, au mépris du Code de la Propriété Intellectuelle et des conventions internationales assurant le respect du droit moral.
Nous soutenons donc les signataires de la pétition « Le droit d’auteur doit rester inaliénable », et joignons notre voix solidaire à celles, nombreuses, d’auteurs, d’éditeurs et d’autres acteurs du livre, qui se sont élevées pour demander un réexamen de la loi n° 2012-287, en réelle concertation avec les principaux concernés.
Mais nous n’en restons pas là. Si, en dépit de tous ces appels, ReLIRE et la loi qui l’encadre ne révisent pas leur copie, nous nous ferons un devoir de ne pas ReLIRE : nous refusons d’alimenter la machine aliénante, d’engraisser les abuseurs. Nous nous ferons un plaisir d’apporter plutôt notre soutien financier aux écrivains qui s’en iront, leurs œuvres sauvées du désastre sous le bras, bâtir ailleurs de meilleures structures de publication, aux éditeurs qui n’auront pas sacrifié leur sens de l’éthique et de l’esthétique à leur survie économique, aux libraires indépendants qui défendent tous ceux-là. Dans cette même logique, nous saurons nous souvenir des maisons d’édition qui n’hésitèrent pas à trahir leurs auteurs, en prenant avantage du déséquilibre instauré par une loi qui fait leur seul profit : celles-là perdent notre confiance, notre respect, et notre appui financier. Elles verront bien, à l’heure du bilan comptable, si les cadeaux de l’État valent la loyauté des lecteurs.
Le prix que cette loi en l’état voudrait nous faire payer à tous pour la numérisation des livres indisponibles du Xxe siècle est aberrant. Mais un public de lecteurs n’est pas un troupeau de consommateurs.
Si le projet ReLIRE se fait, nous nous engageons à ne pas faire vivre ReLIRE : considérez ceci comme notre opt-out.
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A legal and cultural nightmare has been unleashed in past March. The Bibliothèque nationale de France (French equivalent to the Library of Congress) has released its ReLIRE database, thus launching the public phase of the mass digitization project targeting unavailable books from the 20th century, as defined by the March 1, 2012 law—despite the fact that the terms of the law have been condemned from the start by many book publishing professionals, first of all the authors. No sooner was the registry open to consultation, than the form given to the project reinforced the concerns voiced about its substance: the opt-out system, so careless and offensive, seems to work like a snare that only gets tighter with every incorrect or incomplete listing information—and an interesting number of those have been noticed within a few days. Incompetence meeting immorality: this undermines the very foundations of authors’ rights, as well as their international safeguards.
We, the readers, who treasure books in all their forms, who know and respect the status of the creator, who find ourselves shocked by the grey areas and weak spots, by the flaws and faults of the project and of its implementation, we do therefore declare that we won’t serve as a pretext, nor stand as accessories.
We won’t be fooled by the official line displaying the project as a major cultural breakthrough for the greater good of the public, whereas it is clearly meant to increase the power of a few publishers over works that for lack of exploitation were contractually slipping out of their control—especially as the original contracts back in the 20th century usually didn’t address the question of digital exploitation rights.
We, as members of the public, find no merit in a profit-seeking system that would absorb the corpus of orphan works, thus depriving French-speaking readers of the hope of gaining access to those books under more decent and democratic conditions, as called for by the 2012 European directive.
We who truly enjoy culture, we see no interest in a mass digitization initiative that would remove from the process the different kinds of revision work which contribute to the beauty of a book revival. We accuse this project of sapping the vitality of the whole book publishing industry, by chilling the enthusiasm of publishers who work on bringing forgotten books back to life, by putting off writers who see their rights being trampled and their work stolen from them, by slowing down even the most spirited among them as they have to waste their time and energy going through the tiresome opt-out system—time and energy they could have better spent exploring the many possibilities and alternatives opening up to them in this digital age.
We who consider that culture without ethics is but the ruin of the art, we have nothing good to expect from a project that, in order to defend the special interests of a small group, damages the trust built between an author and his/her publisher, unbalances their previous relationship of equals at the expense of the author, and challenges the ancient connection between the artist and the State that just sacrificed the very rights it was bound to protect, thus violating the Intellectual Property Code and the international conventions ensuring moral rights for the authors.
For these reasons we support the campaign "The authors’ rights must remain inalienable", and speak up in solidarity with the many authors, publishers and other professionals working in the book field, who raised their voices to demand that the law no. 2012-287 be reviewed in close cooperation with the ones most directly concerned.
But we won’t stop at a mere expression of concern. Should there be despite repeated calls no revision of the law that gave birth to ReLIRE, we will make a point of revising our own (re-)reading habits: we don’t want to feed the alienating machine, nor do we want to enrich the abusive scavengers. Instead we will dutifully, delightfully offer our full support to the writers who took the books they could rescue from this disaster named ReLIRE and went off to seek or build better publishing structures; to the publishers who didn’t choose economic survival over ethical and aesthetic values; and to the independant booksellers who love and support them. In the same spirit, we will remember the names of those publishing businesses who deliberately betrayed their authors and took advantage of the imbalance legally created for their sole benefit: they have lost our respect, confidence, and financial support. Let them see on the balance sheet whether this State-wrapped gift is worth the loyalty of readers.
This is a ghastly price that we are all supposed to pay for the digitization of unavailable books from the 20th century. But an audience of readers should not be mistaken for a passive herd of consumers.
If the ReLIRE project proceeds, we hereby notify ReLIRE that we are opting out of the system.