Lettre ouverte à Emmanuel Macron au sujet des intermittents du spectacle

Lettre ouverte à Emmanuel Macron au sujet des intermittents du spectacle

0 a signé. Prochain objectif : 7 500 !
Quand elle atteindra 7 500 signatures, cette pétition aura plus de chance de recevoir de l'attention de la part du décisionnaire !
Association UNDIA a lancé cette pétition adressée à Emmanuel MACRON (Président de la République Française)

Monsieur le Président de la République,

Lors de votre campagne de 2017, un des points clés de votre programme fut la « flexi-sécurité ». Il se serait agi, pour reprendre les termes-mêmes de vos déclarations, de « droits nouveaux en échange de devoirs ».

Ce concept de flexi-sécurité nous le connaissons bien, puisque celui-ci existe depuis 1936.

Oui, depuis 1936 il existe une catégorie de salariés qui accepte d’adapter son volume de travail au gré du carnet de commande de leurs employeurs ; qui accepte lorsqu’un projet le nécessite de travailler le soir, la nuit, en décalé, le dimanche, 60 heures par semaine s’il le faut, sept jours sur sept si cela est nécessaire.
Une catégorie de salariés surtout dont on peut se séparer du jour au lendemain sans préavis, sans indemnité et même sans motif ; dont on peut décaler, raccourcir, allonger ou annuler le contrat de travail à loisir en fonction des besoins de l’entreprise.

Vous l’aurez compris, la flexibilité nous la connaissons. Nous la connaissons si bien que c’est même à se demander si ce mot n’a pas été inventé pour nous. Nous, ces salariés flexibles à l’extrême qui marchons main dans la main avec nos employeurs, prêts à sacrifier vie personnelle et familiale en acceptant des horaires étendus et des semaines sans fin pour mener à bien un projet, nous qui acceptons les décalages de planning et les annulations de dernière minute, nous sommes les intermittents du spectacle.

Une catégorie de salariés qui connait bien le concept de droits en échange de devoirs prôné durant votre campagne, puisque ce contrat moral nous l’avons tous accepté à l’aube de notre vie professionnelle. Car si les intermittents du spectacle sont des chômeurs permanents, ce sont aussi et avant tout des professionnels de la recherche d’emploi, de la recherche d’emploi fructueuse.

En effet, pour prétendre à ce statut non pas privilégié mais plutôt à ce régime d’indemnisation adapté au mode de fonctionnement de notre industrie, notre devoir à nous, intermittents du spectacle, est d’obtenir au minimum (et non « au maximum » ou « en moyenne ») 507 heures de travail déclarées chaque année. Ce minimum de contrats signés chez des employeurs multiples implique de notre part autant de démarches réussies, d’entretiens d’embauche fructueux, d’approfondissement des compétences, de gages de professionnalisme et surtout c’est autant de périodes de travail pendant lesquelles l’artiste ou le technicien s’est montré assez professionnel, talentueux - et parfois docile - pour être rappelé. 

Aujourd’hui, comme tous ceux qui comme nous ne sont pas engagés en CDI, nous avons droit à une assurance chômage lorsqu’un contrat de travail s’annule, se décale ou tout simplement lorsque malgré tous nos efforts le travail vient à manquer. Un filet de sécurité relativement maigre : un cadre intermittent du spectacle qui déclare pourtant bien plus de 507 heures de travail par an percevra difficilement plus qu’une allocation équivalente à 27% de son salaire brut en cas de chômage total.

Depuis l’accord signé en 2016 qui a durci les règles d’indemnisation des intermittents du spectacle, cette allocation ne sera versée qu’après plusieurs semaines voire plusieurs mois de franchise - c’est-à-dire des périodes sans aucun salaire ni aucune allocation chômage. Par ailleurs, Pôle Emploi risque de demander le remboursement partiel ou total des allocations éventuellement perçues pendant ces périodes de chômage avérées si l’intermittent en question retrouve du travail plus tard dans l’année.

Enfin, ce droit au chômage ne durera jamais plus d’un an et ce quelque soit le nombre d’années depuis lesquelles l’intermittent du spectacle travaille.

Un filet de sécurité bien maigre et déjà profondément durci il y a deux ans donc, mais nécessaire et qui s’il venait à se durcir encore entraînerait forcément des confrontations entre les intermittents du spectacle et leurs employeurs : spontanément, s’ils étaient privés de cette couverture sociale, les artistes et les techniciens intermittents n’accepteront plus d’annulation ou de report de dernière minute et en exigeront le dédommagement, lequel mettra à mal les finances souvent fragiles de leurs employeurs. Forcément et automatiquement la relation de bonne intelligence que nous décrivions plus haut et que vous souhaitiez développer à l’ensemble des entreprises disparaitrait avec cette protection sociale qui en est la pierre angulaire et serait remplacée par une multitude de mouvements sociaux, de grèves et de procédures prudhommales, car aucun salarié n’acceptera de ne pas pouvoir honorer son loyer en raison d’un changement de planning de dernière minute.

Ces situations fragiliseront les producteurs de contenus audiovisuels alors que ces derniers n’auront jamais autant besoin du soutien de leurs équipes que dans les années qui viennent : l’audiovisuel est en pleine mutation et les producteurs historiques doivent se montrer compétitifs face aux nouvelles concurrences qui menacent la culture, les médias et l’audiovisuel français.

Pourtant, vous appeliez de vos vœux durant votre campagne à une marche vers le monde de demain ; vous appeliez de vos vœux à une relation constructive entre entrepreneurs et salariés ; vous avez fait de la flexi-securité un des points phares de votre campagne. Nous, les intermittents du spectacle, n’avions à vous écouter aucune raison de nous inquiéter.

Notre industrie aurait même pu être le laboratoire de ce nouveau monde auquel vous aspiriez pour le peuple français : un monde dans lequel les entrepreneurs et leurs équipes comprennent et respectent leurs contraintes respectives et savent s’adapter et réagir ensemble aux défis qui leur sont lancés. Et pourtant, nous n’avons jamais eu aussi peur pour notre avenir qu’aujourd’hui.

Pourquoi sommes-nous si inquiets ?

  • Sans doute parce que vos équipes fustigent notre mode de fonctionnement, par exemple Christophe Castener alors secrétaire d’État et patron de LREM qui a qualifié sur RTL en juillet 2018 de « vraies déviances » le fait de « pouvoir travailler un peu et bénéficier des droits d’assurance chômage », principe qui est pourtant le fondement-même de notre industrie.
  • Parce que les médias, de gauche comme de droite, la presse économique comme la presse généraliste martèlent que votre Gouvernement entend supprimer la possibilité d’alterner contrats courts et assurance chômage qui sont l’essence même de notre activité par nature temporaire.
  • Parce que, alors que le protocole d’accord signé en 2016 avec 66 millions d’économies réalisées a déjà très sévèrement touché les salariés intermittents du spectacle œuvrant dans la télévision et les medias, la lettre de cadrage émanant de votre gouvernement exige à nouveau 90 millions d’économies supplémentaires en 2019.

Un fait surprenant est cependant survenu une semaine après la publication de cette lettre de cadrage : notre Ministre de tutelle, monsieur Franck Riester, a en effet déclaré le 2 décembre 2018 au Journal du Dimanche au sujet de l’intermittence du spectacle que « Le Gouvernement ne souhaite pas modifier les conditions spécifiques en question. (...) Ne cassons pas ce régime qui est notre force. Ce système, qui est une spécificité française, est important pour la création ».

Nous ne pouvons donner aucun crédit à cette déclaration et ce pour une raison évidente : la lettre de cadrage, celle qui émane de son homologue au Travail, celle qui exige de notre part un effort financier sans précédent, n’a à ce jour pas été annulée. Cette publication au lendemain d’un samedi jaune ne nous rassure donc pas et nous incite même au contraire à redoubler de vigilance : nul doute en effet que l’intermittence demeurera, et que la règle connue de tous restera « 507 heures sur 12 mois ». Nous imaginons même que Gouvernement et organisations patronales se targueront d’avoir « pérennisé » l’intermittence du spectacle.

Mais le protocole signé en 2016 nous a appris que le diable se cache dans les détails : nous avons appris à cette occasion à nous méfier des effets d’annonce et à décortiquer dans leurs moindres détails les protocoles et les circulaires. Car sous couvert d’avoir augmenté de 10 à 12 mois le délai pour obtenir les 507 heures de travail, les formules complexes pour ne pas dire opaques comportaient de nombreux vices cachés.

Pour ne citer que trois conséquences de ce protocole :

  1. Les franchises salaires, devenues annuelles, sanctionnent désormais les intermittents du spectacle au seul motif qu’ils ont travaillé régulièrement un an auparavant. Ainsi, un intermittent qui connait une année plus difficile que la précédente risque aujourd’hui de vivre deux, trois voire même quatre mois sans aucun salaire ni aucun revenu de substitution. 
  2. Pire encore : l’intermittent du spectacle qui a connu une période de chômage avéré risque de rembourser les allocations qu’il a perçues s'il retrouve du travail plus tard dans l’année, ce qui est inédit chez des chômeurs qui retrouvent du travail. 
  3. Enfin, la date anniversaire glissante oblige certains intermittents à réunir 507 heures de travail en moins de trois mois, contre dix auparavant.

Pourtant, nous ne pouvons que donner raison au Ministre de la Culture, car les chiffes parlent en notre faveur : les allocataires indemnisés au titre des annexes VIII et X de l’assurance chômage représentent 3,67% des allocataires pour 3,29% des dépenses totales de l’Unedic. Celle-ci a indiqué dans son rapport d’activité de 2017 que les cotisations collectées sont de 35,7 milliards d’euros, et les allocations versées de 34,3 milliards d’euros, soit une balance excédentaire de 1,4 milliards d’euros ; et la même Unedic prévoyait d’ailleurs dans son rapport de février 2018 que le déficit de l’assurance chômage serait comblé en 2019.

La culture contribue sept fois plus au PIB français que l’industrie automobile. La valeur ajoutée des activités culturelles est équivalente à celle de l’agriculture et place notre industrie en deuxième position, devant l’hébergement et la restauration, devant les télécoms, devant le secteur des assurances et devant l’industrie chimique.

Nous avons parlé de réalités humaines au début de ce courrier, mais nous souhaitons maintenant nous adresser à l’économiste que vous êtes : 90 millions d’économies supplémentaires alors que l’Unedic est quasiment à l’équilibre et que la balance entre cotisations et allocations est excédentaire, c’est donc l’effort que nous demandent - encore - votre Gouvernement et les organisations patronales.

Mais quel gain financier pour l’Etat Français si cette année ce n’est pas uniquement le Festival d’Avignon qui s’annule, mais aussi celui de Cannes ? Les Francofolies ?
Si la production de films, de contenus audiovisuels ou d’émissions de télévision ralentit ou même s’interrompt pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois ?

Si plus globalement cette « mesure d’économie » oblige les médias, l’audiovisuel, le spectacle vivant, la musique, le cinéma et la culture en général à revoir en profondeur son modèle économique déjà fragile pour compenser la perte de notre protection sociale créée sur mesure en 1936 pour un cinéma encore balbutiant et sur lequel s’est fondé toute l’économie d’une culture française enviée et regardée par le monde entier ?

Pourquoi chercher à changer le modèle économique d’une industrie qui fonctionne et qui fait rayonner la France à l’international ?

Est-ce que les retombées économique issues des festivals, de l’audiovisuel et de la culture en général ne valent pas un investissement de 90 millions d’euros, une goutte d’eau dans les finances de l’Unedic, qui permettrait à toutes celles et tous ceux qui la font vivre de bénéficier d’une protection sociale, d’une sécurité adaptée à la flexibilité qui va de pair(e) avec l’exercice de leur profession ?

Vous savez pourtant que les intermittents du spectacle - comme les français en général - sont prompts à défendre non pas leurs privilèges mais leurs protections les plus élémentaires.

Et vous savez sans doute aussi que nos conditions d’emploi particulières dont nous avons décrit les contraintes plus haut nous confèrent tout de même un pouvoir dont nul autre salarié ne dispose en France : nous ne sommes juridiquement engagés que lorsque nous arrivons sur notre lieu de travail. Nous n’avons donc pas besoin de mot d’ordre de grève ni de respecter le moindre préavis pour ne pas honorer un contrat que nous n’avons même pas signé.

Un blocage général de notre industrie peut donc se faire du jour au lendemain par simple message sur les réseaux sociaux ; le mot d’ordre peut être donné non pas par un syndicat mais par n’importe lequel d’entre nous pour peu que son message soit relayé, sans aucune possibilité de sanction à notre égard.

Devrons-nous en arriver à une grève d’un nouveau genre, qui consisterait à bloquer la deuxième industrie de France simplement en restant à la maison pour vous faire entendre que notre secteur est un des piliers de l’économie française et qu’il convient de continuer d’accorder à ceux qui le font vivre une protection sociale adaptée aux contraintes de l’exercice de leur profession ?

Il y a un dernier paradoxe : nous, les intermittents du spectacle, ceux que l’on accuse régulièrement de creuser le déficit de l’assurance chômage, sommes désormais les derniers salariés de France à y contribuer, car si la cotisation chômage a disparu des fiches de paie de tous les salariés de France, nous continuons d’y cotiser, à hauteur de 2,4%, c’est à dire exactement ce dont s’acquittaient jusque là les intérimaires et les salariés CDI ou CDD du régime général.

Et pourtant, bien que nous soyons les derniers salariés de France à contribuer à cette solidarité interprofessionnelle, nous semblons être à nouveau les bêtes à abattre.

Nous vous demandons donc, monsieur le Président de la République, de ne pas considérer les rapports aussi accablants qu’approximatifs publiés à notre sujet et de veiller au respect des promesses électorales du candidat Emmanuel Macron :
que « nos devoirs » qui n’ont pas changé continuent de s’accompagner d’une « protection » qui bien que constamment rabotée est le fondement même de notre industrie ; que la « flexibilité » dont nous avons toujours fait preuve s’accompagne encore à l’avenir de la « sécurité » que vous avez promis au peuple français.

En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien nous accorder,

UNDIA - Union nationale de défense des intermittents de l’audiovisuel

Interviews du président d'UNDIA

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