Pour un design du bien commun

Pour un design du bien commun

261 ont signé. Prochain objectif : 500 !
Lancée le
Adressée à
ministère de la culture et

L'importance de cette pétition

Avec le management et les sciences cognitives, le design est l’une des disciplines les plus assidûment mobilisées au service des fausses valeurs de notre temps : l’innovation, la créativité, la performance, la compétitivité, l’optimisation, le durable, etc. À cet égard, les trois disciplines participent de la même entreprise. De l’hybridation du design avec les sciences cognitives est né le UX Design ou design de l’expérience utilisateur ; de sa combinaison avec le management, le Design Thinking ou démarche design : rien de tel que les chimères pour œuvrer à la poursuite de fausses valeurs. Fausses sont en effet les valeurs qui font passer les moyens pour des fins, laissant croire que toute performance ou innovation est bonne en soi, ou qui valorisent substantiellement certaines qualités, telles que le durable ou le créatif, alors que celles-ci ne sont intrinsèquement ni bonnes ni mauvaises. Comme si l’histoire ne nous avait pas montré que l’homme était capable d’inventer des solutions créatives, innovantes et performantes, parfois durables, au service de la destruction de l’humanité ou de la planète.

Ce 11 décembre, se tiennent à Bercy les premières assises du design, organisées conjointement par le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de la Culture. L’objectif premier d’un tel événement est toujours de promotion. Mais que s’agit-il ici de promouvoir ? Le design certes, mais quel design et quelles valeurs ?

Nous considérons qu’une valeur cardinale doit aujourd’hui être promue – c’est la vie, aux deux sens que le grec permet de distinguer : zoe, la vie commune à tous les êtres vivants, et bios, la vie proprement humaine. Qu’il s’agisse de celle des humains, dont s’occupent les sciences sociales, ou de celle des vivants, dont se chargent les sciences de la Terre, la vie est notre bien commun et c’est à son service que le design doit être aujourd’hui prioritairement mobilisé. Que faire face à l’urgence écologique ? Comment œuvrer à une société plus inclusive ? Comment en somme servir la vie ? Telles sont les questions qui importent désormais plus que toute autre. Parce qu’elles impliquent de nouveaux usages et de nouveaux services, nous pensons que le design, qui est intrinsèquement lié à la notion de service et intègre la dimension de l’usage dès le stade de la conception, a un rôle majeur à jouer dans les réponses qu’il nous appartient d’élaborer. Ces questions ne sont pas d’ordre économique mais d’ordre culturel : elles ne se situent pas dans la perspective comptable et finie d’un monde exploitable et littéralement profitable, mais dans l’horizon incalculable et infini d’un monde habitable et hospitalier.

Directrices et directeurs, designers ou enseignant.e.s d’écoles supérieures d’art et design publiques relevant du ministère de la Culture, nous tenons à rappeler ici le rôle fondamental de nos établissements dans la formation supérieure et la recherche en un design à la hauteur des vrais enjeux de notre temps : l’inclusion sociale et la transition écologique, mais aussi les formes de l’attention, de l’éducation, du soin, du souci de la Terre et d’autrui et plus largement d’un art partagé de vivre. Si nous sommes fier.e.s de notre rattachement au ministère de la Culture – qui se fonde, tant en termes de pédagogie que de vision du monde, sur des valeurs communes dont il garantit la pérennité, telles que l’expérimentation, la logique du faire, l’esprit critique, l’émancipation et l’hospitalité – nous attendons plus de considération et d’ambition au plan politique. Nous pensons en particulier au statut des enseignant.e.s, aligné sur les grilles du secondaire, et au financement de la recherche, réduit à une portion si congrue qu’il ne comprend aucun volet spécifiquement dédié aux étudiant.e.s-chercheurs.euses. Nous le déplorons d’autant plus qu’il est urgent de créer un front commun de l’enseignement supérieur public du design, à en juger par l’offensive dont le marché de l’éducation, en particulier celui de l’enseignement supérieur de la création, fait l’objet de la part des fonds d’investissement privés. Alors que ces formations privées sont foncièrement inégalitaires, nous réaffirmons que rien ne vaut un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en design de haute qualité – a fortiori si l’on veut favoriser la germination d’un design d’intérêt général, au service du bien commun.

Premier.e.s signataires :

Emmanuel Tibloux, directeur de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs ; Ruedi Baur, designer ; Jérôme Delormas, directeur de l'institut supérieur des arts de Toulouse ; Jacqueline Febvre, représentante de l’ANdEA - Association nationale des écoles supérieures d’art et design, aux Assises du design ; Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, designers ; Loïc Horellou, Christelle Kirchstetter et Stéphane Sauzedde, coprésident.e.s de l’ANdEA ; Thomas Huot-Marchand, designer ; Pierre Oudart, directeur des Beaux-Arts de Marseille ; Samy Rio, designer ; Jeanne Vicerial, designer.

Jeanne Gailhoustet, directrice de l'École nationale supérieure d'art de Limoges
Alice Vergara, directrice de l'Ecole supérieure d'art et design de Valenciennes
Anne Nouguier, directrice par intérim de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle ENSCI - les Ateliers
Odile Le Borgne, directrice du site de Rennes | École européenne supérieure d'art de Bretagne
Jean-François Dumont, directeur de l'École supérieure d'art des Pyrénées
Gilles Dupuis, directeur par intérim de l'Ecole supérieure d'art et de communication de Cambrai
Estelle Pagès, directrice de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon
Patricia de Bollivier, directrice de l'Ecole supérieure d'art de La Réunion
Ulrika Byttner-Lepeltier, directrice adjointe et directrice du site de Tours | École supérieure d'art et de design TALM
Danièle Yvergniaux, directrice de l'École européenne supérieure d'art de Bretagne
Raphaël Cuir, directeur de l'Ecole supérieure d'art et design de Reims
David Cascaro, directeur de la Haute école des arts du Rhin
Christian Debize, précédent directeur de l'Ecole supérieure d'art et design de Nancy, directeur de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Nîmes
Inge Linder-Gaillard, directrice du site de Grenoble de l'École supérieure d'art et design Grenoble-Valence
Christian Morin, directeur adjoint et directeur du site Le Mans | École supérieure d'art et de design TALM
Marie-Haude Caraes, directrice adjointe et directrice du site d'Angers | École supérieure d'art et de design TALM
Claire Peillod, directrice de l'École supérieure d'art et de design de Saint-Etienne
Aurélien Bambagioni, artiste, enseignant à l'Ecole européenne supérieure de l'image, Angoulême-Poitiers
Pascal Simonet, artiste, enseignant à l'Esad Toulon Provence Méditerranée
Dominique Figarella, artiste, enseignant aux Beaux-arts de Paris
Maud Le Garzic Vieira Contim, coordinatrice de l'ANdEA - Association nationale des écoles supérieures d'art
Katerine Louineau, artiste
Patricia Welinski, designer, professeur à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon
Jacques Rivet, codirecteur d'Entre-deux (Nantes)
Vanessa Brito, enseignante en philosophie aux Beaux-arts de Marseille
Véronique Maire, designer et enseignante à l'Ecole supérieure d'art et design de Reims
Michel Gary, designer, enseignant à l'Institut supérieur des arts de Toulouse
Vanina Pinter, enseignante en histoire et théorie du design graphique à l'École Supérieure d'Art et de Design Le Havre Rouen
Frédéric Frédout, designer, enseignant aux Beaux-arts de Marseille
Aurélie Mosse, designer-chercheure et enseignante, Ensadlab, Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs

 

_Tribune parue dans Libération, le 9 décembre 2019

_Crédits image : Armin Linke, The Appearance of That Which Cannot Be Seen, Cairo, 2006 (tronqué)

261 ont signé. Prochain objectif : 500 !