Mesdames, messieurs, membres de l’administration et du corps enseignant de CentraleSupélec, étudiantes et étudiants,

    A l’heure où notre école décide de solliciter la contribution de tous et toutes à la redéfinition de ses objectifs dans le cadre de la campagne « CentraleSupélec 2032 », nous souhaitons partager nos sentiments et réflexions. Cette lettre ouverte, n’engageant que ses signataires, n’a pas pour objectif de renouveler les constats sociaux et environnementaux alarmants dressés par de nombreuses organisations scientifiques internationalement reconnues, car elle ne serait alors qu’une incomplète répétition des problématiques qui nous attendent dans les années à venir.

    Tout d’abord, quel a été notre désenchantement lorsque nous avons constaté que la raison d’être proposée par l’école pour elle-même était un développement qui serait économique avant d’être humain et, qui plus est, n’aurait vocation qu’à être « soutenable » et non juste et résilient. La primauté des aspects financiers sur les autres enjeux sociaux et environnementaux nous semble également transparaître dans le choix des partenaires de l’école, tels Total Energies, BNP Paribas ou Amazon depuis peu.  Ils imprègnent nos cours et sont surreprésentés parmi les entreprises que l’école nous propose de découvrir, alors que ces derniers contribuent de manière active et délibérée à la destruction de l’environnement et aux injustices sociales.

    Assurément, les étudiantes et étudiants de cette école sont prêt·e·s à appréhender le monde du travail tel qu’il a été jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, nous sommes convaincu·e·s que, forte de son excellence académique et de sa renommée internationale, notre école a la capacité, si ce n’est le devoir, de former les ingénieur·e·s de demain avec de nouvelles clés de compréhension d’un monde en pleine mutation qui leur permettront d’avoir un impact positif de par leur métier. De fait, nous avons l’impression que CentraleSupélec, plutôt que de prendre conscience du caractère systémique des enjeux actuels, n’offre, lorsqu’elle les traite, qu’une réponse excessivement techno-solutionniste à un problème évidemment plus large et complexe. Les mutations que connaissent et connaîtront nos sociétés ne sont-elles pas l’occasion pour notre école de transmettre à ses étudiant·e·s, plus qu’un savoir-faire, une consciente responsabilité de nos actes en tant qu’ingénieur·e·s et plus encore, une éthique ?

    Le manque d’ouverture réelle et durable à d’autres domaines, à d’autres disciplines, scientifiques ou non, favorise la formation d’élèves disposant de notions extrêmement techniques, sans pour autant avoir la moindre connaissance des impacts sociaux et environnementaux de leurs actions. C’est de transdisciplinarité et d’une approche holistique dont nous avons besoin aujourd’hui et dont nous demandons l’intégration à notre cursus.

    Pour conclure, nous souhaitons préciser que cette lettre doit être lue comme elle a été pensée : non comme une attaque, mais comme une invitation à accélérer et amplifier la discussion entre les différentes parties prenantes de l’école, entre l’administration de l’école et ses étudiant·e·s. Nous aussi, étudiantes et étudiants, devons manifester notre sens des responsabilités et notre désir de changement, car nous avons aujourd’hui la possibilité de concourir à une transformation d’une ampleur sans précédent. Ne nous complaisons pas dans la critique de quelques grandes organisations déclarées responsables : le monde ne sera pas détruit par celles-ci, mais par celles et ceux qui les regardent sans agir. Naturellement, notre école s’inscrit dans un tout qui la dépasse largement et qu’il est donc très difficile de supplanter, mais quelle fierté ressentirions-nous alors de voir notre école incarner un rôle de pionnière de la transition écologique et solidaire dans le monde de l’ingénierie ! Notre volonté aujourd’hui est donc d’appeler CentraleSupélec à prendre les mesures nécessaires pour former les ingénieur·e·s de demain. Nous sommes convaincu·e·s que la transformation de notre école est à notre portée et qu’il nous faut trouver la force et le courage de s’engager pleinement dans les défis qui nous attendent.