Lettre ouverte de l’AEEG – contre la transphobie et contre la répression à l’université

Lettre ouverte de l’AEEG – contre la transphobie et contre la répression à l’université

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June 1, 2022
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Started by AEEG Unige

Lettre ouverte de l’AEEG – contre la transphobie et contre la répression à l’université


Que s’est-il passé ? 

Le 17 mai dernier, Eric Marty a été invité par le département de français moderne de l’Université de Genève pour présenter son nouveau livre « Le Sexe des Modernes ». Dans ce dernier, l’écrivain et professeur de littérature française contemporaine prétend faire l’histoire du genre et « se donne pour projet d’abattre “l’icône” Judith Butler, de dénoncer l’hégémonie et l’entreprise idéologique du “gender” venu des États-Unis, et de faire barrage aux mouvements minoritaires, LGBT, trans et antiracistes. » (Idier, A., 2022, en ligne). La conférence a rapidement été interrompue par des militantexs déterminéexs à ne pas laisser place aux discours transphobes et dangereux de Marty. La diffusion d’une idéologie mensongère et meurtrière est en effet tout simplement inadmissible. Car si la liberté de l’enseignement et de la recherche est constitutive de la liberté académique et figure dans la charte d’éthique et de déontologie de l’Université de Genève, c’est le cas également du respect de la personne. Ainsi, l’Unige est censée proscrire toute discrimination notamment liée à l’identité de genre et accorder une protection particulière aux personnes en situation de vulnérabilité (Unige, Charte d’éthique et de déontologie, en ligne). 


Pourtant, c’est précisément le contraire qui est en train de se produire : le rectorat a annoncé vouloir porter plainte pénale contre X. Or nous le savons, choisir la voie de la justice répressive, c’est perpétuer les violences systémiques contre des personnes déjà extrêmement marginalisées. Les personnes trans sont en effet statistiquement fortement victimes de violences policières (Mallory et al., 2015, p. 6) . Iels sont aussi discriminéexs au niveau des parcours de transition légale, ce qu’un dépôt de plainte, et donc un potentiel casier judiciaire, ne fait qu’empirer. Prendre cette décision, c’est faire fi de décennies de recherche sur les parcours trans, les conséquences concrètes et matérielles des discriminations subies au niveau interpersonnel mais aussi et surtout au niveau structurel et institutionnel, et ainsi se positionner en accord tacite avec celles-ci. Déposer plainte contre des personnes issues de populations marginalisées, c’est utiliser des outils oppressifs et violents en toute conscience de cause contre elleux et donc utiliser la violence qui est pourtant prétendument condamnée publiquement par l’Unige.


Nous prenons ainsi position contre le dépôt d’une plainte pénale ainsi que d’un passage en conseil de discipline pour les étudiantexs identifiéexs. Il est absolument nécessaire de se mobiliser contre la transphobie sous toutes ses formes, c’est pour cela que L’Association des Etudiantexs en Étude Genre prononce son soutien inconditionnel aux militantexs. 


Pourquoi condamnons-nous Eric Marty ?

Il est absolument crucial de comprendre pourquoi la conférence a été arrêtée par les militantexs : Eric Marty est une personne ouvertement transphobe, son livre aussi. Il est nécessaire de se pencher sur cette question afin d’être au clair sur les propos tenus par Marty. 


Dans une interview, disponible sur youtube, Marty tient des propos d’une violence inouïe :

« [Le trans] est une figure très dérangeante pour tout le monde. [...] Si n'importe qui peut dire “je suis femme parce que je suis trans”, la femme, la vraie femme entre guillemet, est remise en cause dans sa légitimité et elle ne peux que dire naïvement “mais c'est moi la femme c'est pas vous”. [..] On se rend compte que toute cette question du genre, cette question du trans est une question violente. »


Eric Marty propose un discours qui délégitimise les revendications des personnes trans, en prônant une vision essentialisante des « différences sexuelles » dans une lignée psychanalytique. Il fait preuve de transmisogynie en reprenant les argumentations notamment utilisées par les TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist) quant à l’intimité forcée entre femmes trans, qui seraient des impostrices, et lesbiennes cisgenres, ou encore le concept de  « gynophobie », contre-sens qui signifierait la haine des personnes trans envers les femmes cisgenres. 


Le discours d’Eric Marty fétichise les personnes trans, en les homogénéisant comme un groupe social unique, sans aucune pensée intersectionnelle autour de la race ou de l’orientation sexuelle par exemple, illustrant son manque de connaissances volontaire du sujet. En effet, il n’a pas utilisé une seule recherche ou production de savoir de personne trans dans tout son corpus. Il estime que les personnes trans sont des personnes violentes, qui cherchent à faire imposer une nouvelle lecture de l’ordre social, lecture qui serait donc une menace directe à la femme cisgenre. Il est aussi question de « lobbys LGBT » : encore une fois une accusation absolument déconnectée de la réalité des discriminations matérielles et quotidiennes vécues par les personnes LGBTQIA+. 


Enfin, il pose les personnes trans dans une lecture du plaisir et de la jouissance, comme un désir individuel, ridiculisant les revendications des personnes trans à être traitéexs comme des êtres humains. Ses arguments sont violents, car ils participent à banaliser les discours utilisés par les groupes anti-trans, et notamment ceux favorables aux thérapies de conversion comme l’AMQG. Ses discours sont donc porteurs de dangers très concrets pour la sécurité des personnes trans qui sont l’une des cibles privilégiées de l'extrême droite et des mouvements fascistes actuels. Banaliser les discours transphobes revient à banaliser la violence qui en découle,  et donc à banaliser les agressions subies par les personnes trans et perpétrées par des individus et des institutions. 


Pour finir, Antoine Idier (2022), sociologue, s'est longuement penché sur le livre de Marty afin de pouvoir l'analyser en profondeur, qu’il qualifie de « véritablement réactionnaire, au premier degré, dans son projet de réécrire l’histoire, de faire comme si un ensemble d’événements (politiques et intellectuels) n’avaient pas eu lieu ». Idier (2022) se demande « Comment Libération, Le Monde et Mediapart peuvent être à l’unisson pour célébrer un livre aussi trivialement réactionnaire, LGBTphobe et raciste – et se retrouver sur la même longueur d’onde que Bastié dans Le Figaro ». 


Les conséquences d’un dépôt de plainte pénale

Ces menaces d’un dépôt de plainte et d’une mobilisation du conseil de discipline impliqueraient de mettre les personnes trans militantexs dans une situation très précaire. Premièrement, financièrement car les personnes trans sont l’une des populations les plus pauvres dû aux discriminations à l’embauche (qu’un casier n’améliorera certainement pas) et au sein des universités. Deuxièmement, en termes de santé physique et mentale, car si iels ne sont ni faiblexs ni fragilexs, iels sont en effet victimes de transphobie quotidienne ce qui a un impact certain sur la santé mentale. De plus, iels subissent des discriminations autour des processus de transition, mais aussi des analyses psychiatriques-psychanalytiques pathologisantes. Troisièmement, de la précarité symbolique ; les personnes trans étant reléguées au bas des luttes sociales, dont l’existence est constamment débattue, dont les corps aussi sont battus publiquement et dont l’humanité est sans cesse questionnée. Le dépôt de plainte et le conseil de discipline ont des enjeux dramatiques pour les personnes trans, comme pour toutes les personnes marginalisées qui ne bénéficient pas de privilèges protecteurs.


Déposer une plainte pénale et instituer des conseils de discipline universitaires, c’est aussi prendre la décision de rompre le dialogue avec les multiples personnes et organisations militantes dans et hors université, mais aussi avec les individus concernés par des discriminations systémiques qui ne sont donc pas réfléchies et conscientisées par le rectorat. C’est donc choisir de rompre le dialogue avec les associations LGBTQIA+ qui ont pour volonté, sur le long terme, d’améliorer les processus de communication entre l’Université et ses étudiantexs LGBTQIA+. Plus que le dialogue, c’est aussi la confiance et le respect qui seront détruits. Dans cette lignée, c’est positionner les personnes marginalisées dans des situations de dernier recours, et mettre de l’huile sur un feu social de contestation face aux violences systémiques. 


Enfin, il est important de le nommer : refuser d’écouter les voix des personnes concernées pour parler de « wokisme », de « censure », de « liberté académique et d’expression » ainsi que « de peur collectives de la part du corps professoral », c’est céder à des rhétoriques fascistes, utilisées par les polémistes d'extrême droite partout en Europe. C’est aussi nier l’existence de travaux en recherche trans riches et précis, et nier sa position. Les points de vue sont situés. Les institutions aussi. Ne pas se prononcer sur le sujet, sur cette conférence et son contenu, c’est adopter une position. Et celle-ci est celle de la transphobie, celle d’Eric Marty. 


Nous demandons donc un non-dépôt de la plainte pénale de la part de l’UNIGE et un refus de passage en conseil de discipline des étudiantexs militantexs. Nous exigeons de plus une reconnaissance du caractère transphobe de la conférence d’Eric Marty.  

 

Pour en savoir plus


Article d’Antoine Idier sur Mediapart au sujet du livre « Le Sexe des Modernes » : https://blogs.mediapart.fr/antoineidier/blog/170522/propos-du-sexe-des-modernes-et-d-un-probleme-plus-general-la-critique-de-gauche 


Article Renversé sur la venue d’Eric Marty à l’Unige : https://renverse.co/infos-locales/article/casse-toi-eric-retour-sur-l-action-du-12-05-a-uni-bastions-3562  


Charte d’éthique et de déontologie de l’Unige : https://www.unige.ch/ethique/charte 


Entretien vidéo d’Eric Marty sur son ouvrage Le Sexe des Modernes : https://youtu.be/seCXBnM4KBs 


Entretien entre Jacques-Alain Miller et Eric Marty au sujet de son livre, “Le Sexe des Modernes” : https://laregledujeu.org/2021/03/30/36921/entretien-sur-le-sexe-des-modernes/ù


Mallory, C., Hasenbush, A., & Sears, B. (2015). Discrimination and Harassment by Law Enforcement Officers in the LGBT Community : https://williamsinstitute.law.ucla.edu/publications/lgbt-discrim-law-enforcement/

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