Pour la fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux

Pour la fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont fortement évolué depuis quelques années. Facebook, YouTube, Twitter, Instagram et bien d’autres ont révolutionné la circulation de l’information ainsi que nos habitudes d’interactions. Formidables outils de partage, ils ont permis à tout un chacun de s'exprimer directement, brisant ainsi le monopole des médias traditionnels. L’usage des réseaux sociaux ne cesse d’évoluer, ils représentent désormais, les portes d'entrée privilégiées sur Internet depuis des milliards de smartphones pour de nombreux utilisateurs.
Force est de constater que les réseaux sociaux d'il y a quelques années ne sont plus les mêmes plateformes où l'on se contentait de communiquer avec le cercle proche et quelques connaissances. Les réseaux sociaux ont certes gardé ces fonctions premières mais ont tous fait évoluer leur offre pour maintenir les utilisateurs connectés le plus longtemps possible. La diffusion de contenu est toujours possible gratuitement et est assurée majoritairement par les individus, sociétés ou organisations qui utilisent ses plateformes pour promouvoir toute sorte de contenu.
Cette forme d'expression libre et illimitée permet l'émergence du meilleur mais également du pire. Les réseaux sociaux deviennent parfois de véritables défouloirs et conduisent à des dérives extrêmes. Ces plateformes qui sont d’excellents outils de communication sont utilisés, de plus en plus souvent, comme des moyens de diffusion de discours haineux et d’idéologies extrémistes. Fake news, manipulation de l'opinion publique, diffusion de doctrines dangereuses, apologie de l'extrémisme religieux et cyberharcèlement...Comment limiter le déversement de ces contenus malsains dont on ne connaît souvent pas les auteurs et diffuseurs ?
L'anonymat qui donne à certains l'impression d'être invisible sur les réseaux sociaux a favorisé ces dernières années une explosion du contenu haineux. Le partage d'idées nauséabondes par des armées de trolls militants qui servent toutes sortes de causes donne parfois l'impression à l'utilisateur moyen, étranger au fonctionnement des algorithmes, qu'il y a un consensus sur ce type de propos. De plus, les algorithmes des réseaux sociaux, conçus pour améliorer «l'expérience utilisateur », lui proposent, un contenu similaire à ce qu'il a l’habitude de visionner pour l’unique but de capter son attention et surtout le maintenir connecté le plus longtemps possible. Le risque à long terme c’est que la répétition du visionnage de contenus haineux pourrait finir par conforter une opinion et aisément convaincre les utilisateurs qui manquent de recul, tel un lavage de cerveau à distance. Il n’est pas compliqué d’imaginer les conséquences de telles manipulations d’opinions dans des contextes pré-électoraux.
Comment donc l’utilisateur lambda, noyé d’informations non sourcées, peut-il faire la différence entre la réalité du monde et la perception qu'il a de ce dernier ? En somme, comment peut-il faire la différence entre le vrai et le faux ?
La réflexion sur cette question ne doit pas nous mener à commettre l'erreur de tout mettre sur le dos du fonctionnement des réseaux sociaux dont le modèle économique repose sur l'économie de l'attention. Il faut toutefois continuer de repenser nos habitudes d’utilisation car le problème avec ce modèle est qu'il peut faire défiler sur nos écrans des contenus dangereux à longueur de journée et les banaliser. Ainsi, des idées nauséabondes que personne n'assumait il y a peu, à visage découvert, se trouvent aujourd’hui répandues dans l'inconscient collectif et sont presque entrées dans la norme des discours ambiants. La question est de savoir si les utilisateurs malveillants des réseaux sociaux auraient partagé ces mêmes contenus haineux avec leur véritables identités ? Il est quasiment certain qu’une bonne majorité d’entre eux, une fois identifiable, y réfléchirait à plusieurs reprises.
Pour lors, l’identification et donc la sanction qui pourrait en découler semble très éloignée pour les diffuseurs anonymes de contenus haineux. La réalité à l’heure actuelle est que la modération des réseaux sociaux n’est pas une mince affaire.
Le contrôle de l’information diffusée sur les réseaux sociaux est pour la plupart du temps géré par des entreprises employant des modérateurs qui travaillent avec les signalements des utilisateurs qui leur sont remontés par des algorithmes. Ces employés sont rémunérés pour visionner, parfois pendant des journées entières, tout ce que ce monde peut offrir en horreur au point que certains après de longues périodes d'exposition à des contenus ultra-violents finissent par développer des syndromes post-traumatiques.
La modération du contenu explicitement violent s'est largement améliorée au fil du temps sur les réseaux sociaux par la combinaison de moyens humains et techniques. Ce qui reste difficile à modérer par des algorithmes et la modération humaine est de l’ordre de l’idéologie. Le discours haineux sur les réseaux sociaux n’est pas toujours explicite, il peut même parfois faire croire aux personnes anonymes qui les partagent qu’il n’y a pas vraiment de conséquences légales ou sociales suite à leurs publications.
La réalité des répercussions judiciaires suite à la diffusion de contenus haineux n’est pas palpable pour bon nombre d’auteurs. L’inquiétude vient du fait que la vitesse et l’instantanéité de la diffusion de certaines informations erronées ou dangereuses permettent à n'importe qui de nuire à autrui en un laps de temps qui peut être assez court. Les réseaux sociaux peuvent, hélas, permettre le partage instantané d'informations relatives à la vie intime de n'importe quelle personne dans le but de porter atteinte à son intégrité psychique et parfois physique. Le sentiment d'impunité des auteurs et diffuseurs, souvent anonymes, de ce type de contenus les encourage parfois à poursuivre leur agissements et provoquent de véritables drames dont ils ignorent parfois l'étendue.
Le temps des procédures judiciaires n'est pas celui de la circulation de l'information nocive. Pour tracer l'identité d'une personne qui nuit à votre réputation ou diffuse des informations diffamatoires à votre égard, il vous faut saisir un huissier de justice et attendre que le parquet somme la plateforme à collaborer. Les réseaux sociaux peuvent mettre des semaines à communiquer les données qui permettront aux forces de l'ordre d'identifier l'individu ou le groupe malfaisant. Le temps de la procédure est souvent trop lent pour une personne victime de harcèlement, diffamation ou autre diffusion d'informations de nature à lui porter préjudice. La sanction des auteurs anonymes de ce type de contenu arrivera toujours trop tard. Il faudrait donc trouver un moyen de dissuasion efficient autre que la crainte d’une éventuelle sanction judiciaire, qui n’arrivera peut être jamais, pour les auteurs de contenus haineux qui se croient invisibles derrière des pseudonymes.
Le parfait anonymat demande un véritable effort et reste après tout minoritaire, il suffit de lire les conditions d'utilisation à l'inscription sur la plupart des réseaux sociaux pour s'en rendre compte. Il s'agit pour être plus précis, d'un pseudonymat qui donne un sentiment d'impunité aux auteurs et diffuseurs de propos illicites. Mettre fin à l'utilisation de pseudos est une solution qui pourrait paraître radicale. L'idée d’une levée de l'anonymat sur les réseaux sociaux est à étudier car intéressante, non pas pour la sanction post crimen des individus malveillants, mais pour l'effet responsabilisant et dissuasif qu'elle pourrait entraîner. L'utilisation de véritables identités sur les réseaux sociaux pourrait supprimer les agissements illicites, inviter l’ensemble des utilisateurs à la bienveillance et provoquer l'effet inverse d’un anonymat déresponsabilisant.
Il faut toutefois rester réaliste et ne pas croire que la levée de l'anonymat sur les réseaux sociaux sera la solution magique qui mettra fin à la diffusion du contenu haineux. Cette piste vaut néanmoins la peine d'être sérieusement étudiée dans la mesure où les utilisateurs desdits réseaux auront un peu plus conscience que leur publications pourront avoir des conséquences légales et sociales. Il faut aussi avoir un esprit vigilant quant aux potentielles conséquences sur la liberté d’expression d’une levée précipitée de l’anonymat sur les réseaux sociaux même si ces plateformes ne sont pas les seuls lieux où l’on peut s’exprimer librement sur Internet. Une véritable réflexion devrait être engagée sur les conséquences d'une levée de l'anonymat sur la liberté d'expression qui reste un droit sacré et fondamental dans une démocratie.
Cependant, la liberté d'expression ne doit pas être confondue avec celle de nuire à autrui. Le principe à garder à l'esprit est que la liberté des uns devrait s'arrêter là où commence celle des autres. Il faudrait donc réfléchir à lever l'anonymat sur les réseaux sociaux tout en le préservant sur le reste d'Internet qui permet la circulation libre de l'information. Supprimer l'anonymat sur l’ensemble d’Internet mettrait en danger les défenseurs anonymes de causes nobles de part le monde. C'est pourquoi la fin de l'anonymat n'est souhaitable que sur les réseaux sociaux qui sont devenus, avec le temps, des passages incontournables pour une bonne majorité de la population mondiale.